Le mystère de la Transfiguration dans la spiritualité de sainte Claire
« Transforme-toi tout entière par la contemplation dans l'image de sa divinité. » 3L,13
Nous sommes créés à l'image et à la ressemblance de Dieu. Gn 1 ; 5,1
Nous sommes transformés en cette même image... par l'Esprit du Seigneur. 2Co 3,17
Relecture de l'Écriture sainte dans le miroir de l'enseignement de sainte Claire
5) Au coeur de la Divinité: la source de l'amour.
6) Être «coopératrice de Dieu-même, soutien des membres défaillants de son Corps ineffable.»
Dans l'Écriture Sainte, nous lisons cette phrase mystérieuse de la Genèse qui en dit long sur le mystère de la vocation de l'humanité. Dieu se consulte et dit: «Faisons l'homme à notre image, comme notre ressemblance... » Et plus loin, l'auteur inspiré montre cette réalisation ultime de toute l'oeuvre de la création: « Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa. » (Gn 1,26-27) En Gn 5,1, l'auteur revient sur cette réalité fondamentale de l'être humain: «Le jour où Dieu créa l'homme, il le fit à la ressemblance de Dieu. »
Cette parole inspirée, l'apôtre Paul la reprendra avec une grande intensité à la lumière de ce qui lui a été révélé sur le Fils de Dieu. Il place toutes les admonitions de ses lettres sous cette grande lumière: le Fils de Dieu est notre modèle, car c'est à son image que nous avons été créés. Ainsi en la lettre aux Colossiens (3,10): « Vous vous êtes dépouillés du vieil homme avec ses agissements, et vous avez revêtu le nouveau celui qui s'achemine vers la vraie connaissance, en se renouvelant à l'image de son Créateur... » Et plus loin: « ...là, il n'y a que le Christ qui est tout en tout. » (3,11) Et il leur trace alors un petit miroir des sentiments dont les croyants doivent se revêtir pour être vraiment en cette vocation « les élus de Dieu, ses saints, ses bien-aimés» , en concluant: « ...tel est bien le terme de l'appel qui vous a rassemblés en un même Corps. » (3,15)
En sa 2e lettre aux Corinthiens, il dit comment l'Esprit est à l'oeuvre pour réaliser en nous cette ressemblance divine. Paul utilise alors un symbole qui nous est très familier comme "femme" et "clarisse": le miroir. Ainsi, explique-t-il: «Nous tous qui, le visage découvert, réfléchissons comme en un miroir la gloire du Seigneur, (Jésus Christ) nous sommes transformés en cette même image, allant de gloire en gloire, par l'Esprit du Seigneur. » (2Co 3,17). Un peu plus loin, il nous montre où nous pouvons trouver la vérité de ce miroir intérieur. C'est, nous dit-il, « ...l'Évangile de la gloire du Christ, qui est l'image de Dieu. En effet, le Dieu qui a dit: Que des ténèbres resplendisse la lumière, est Celui qui a resplendi dans nos coeurs pour faire briller la connaissance de la gloire de Dieu qui est sur la face du Christ. » (4,4-6)
Ainsi, lorsque Jésus lui-même nous dit: « Je suis le Chemin, la Vérité, la Vie. » (Jn 14,6), nous savons que tout notre avenir est en Lui l'Image, le Miroir parfait du Père. Mais pour réaliser cette vocation, il faut toute une vie qui le regarde et le suive «partout où il va. » (Apoc 14,4).
1. La petite FORMULA VITAE de saint François et son influence dans la vie d'oraison de sainte Claire.
À l'aurore de sa conversion à l'Évangile, Claire a reçu de François exemple et enseignements, lesquels, en un clair miroir, lui réflétaient Jésus Christ, Miroir du Père. Et au tout début de sa vie religieuse, François lui remettait, à elle et à ses soeurs, une petite formule de vie qui contenait le fondement de leur vocation évangélique particulière: «Par inspiration divine leur écrit-il, vous vous êtes faites filles et servantes du Très Haut et Souverain Roi le Père céleste et vous avez épousé l'Esprit Saint en choisissant de vivre selon la perfection du saint Evangile... » (RCl 6,3) Cette petite formule n'a cessé d'inspirer et de guider Claire et ses soeurs. Nous pourrions revoir toutes les lettres et les écrits de Claire à la clarté de ces paroles fondatrices de François. Claire et ses soeurs entrent vraiment dans la famille divine, la famille trinitaire, et c'est pourquoi François peut se considérer comme son frère et son père spirituel en ajoutant: « ...je veux et je promets d'avoir toujours par moi- même et par mes frères un soin affectueux et une sollicitude spéciale pour vous comme pour eux. » (RCl 6,4)
2. Devenir «imitatrice attentive du Père Parfait» ...l'Oeuvre de son Esprit: passer de ce monde au monde de Dieu.
Par deux fois, en ses écrits, Claire nous affirme qu'elle a été éclairée intérieurement par le Père des miséricordes qui lui a fait connaître sa voie. Dans son Testament et dans sa Règle elle revoit cette source de lumière qui a marqué les débuts de son chemin vers Dieu. Ainsi nous dit-elle: « ...Le Très Haut Père céleste a daigné par sa miséricorde et par sa grâce éclairer mon coeur: pour qu'à l'exemple et selon l'enseignement de notre très bienheureux père François je fasse pénitence... » (Test.24; RCl 6,1) Et cette vocation qu'elle a reçue du Père, Claire la perçoit comme un don, le plus grand Don qui soit. Le début de son Testament l'atteste et aussi le début de sa 2e Lettre qui affirme la portée évangélique de ce don: «Je rends grâce au dispensateur de la grâce de qui nous croyons qu'émanent tout don excellent et toute donation parfaite... pour que devenue imitatrice attentive du père parfait tu mérites de devenir parfaite afin que ses yeux ne voient en toi rien d'imparfait. » (2L 3-4)
Ainsi Claire nous entraîne comme elle a été attirée elle-même, à « imiter attentivement » la perfection du Père céleste. Jésus lui-même dans son Évangile, , , nous avait déjà dit cela: « Vous serez parfaits comme votre Père celeste est parfait. » (Mt 5,48) Claire enseigne effectivement à sa correspondante ce que François avait défini pour elle comme vocation: « ...vous vous êtes faites filles et servantes du Très Haut et Souverain Roi le Père céleste. » Nous retrouvons donc ici ce resplendissement de l'image et de la ressemblance divine au coeur même de notre vocation de "soeurs pauvres". Le fondement de l'Écriture vient ici se renouveler dans une vocation particulière, la vocation de «ce petit troupeau que le Seigneur Père a, engendré dans sa sainte Église par la parole et l'exemple de notre très bienheureux père saint François pour suivre la pauvreté et l'humilité de son Flls bien-aimé et de la glorieuse Vierge sa mère... » (Test 46)
Ce resplendissement de la gloire de Dieu qui éclaire le devenir de notre humanité, Claire le voit intensément sur la face du Fils bien-aimé, Jésus, le Fils de Dieu pauvre et humble. C'est ici, sur les traces de Jésus qui « s'est fait pour nous la VOIE... » (Test 5) que Claire «imite attentivement le Père parfait » : « Telle est cette perfection nous écrit-elle, par laquelle le Roi lui-même t'associera à lui ...parce que... devenue émule de la très sainte pauvreté en esprit de grande humilité et de l'ardente charité tu t'es attachée aux traces de Celui à qui tu as mérité de t'unir en mariage. » (2L 7) Et cette perfection du devenir humain, Claire voit qu'elle est l'oeuvre de l'Esprit Saint du Père. C'est l'Esprit qui appelle et c'est lui qui accomplit cette perfection de l'image et de la ressemblance divine: «...cette perfection où l'Esprit du Seigneur t'a appelée... » , nous dit-elle en cette 2e Lettre (14), et dans sa règle: «...qu'elles considèrent qu'elles doivent par-dessus tout désirer avoir l'Esprit du Seigneur et sa sainte opération... » (RCl 10)
C'est en cette «sainte opération» de l'Esprit du Seigneur qu'elle est « épousée » comme le lui avait dit François: «... vous avez épousé l'Esprit Saint en choisissant de vivre selon la perfection du saint Évangile... » Être épousée ainsi est toute une oeuvre, l'oeuvre d'une vie qui passe de ce monde au monde de Dieu,... à la vie de l'Esprit, à la vie spirituelle. Dieu sait ce qu'il nous faut pour accomplir ce passage lui qui, comme l'écrit saint Paul, « ...a discerné d'avance ceux qui l'aiment et il les a prédestinés à reproduire l'image de son Fils afin qu'il soit l'aîné d'une multitude de frères; et ceux qu'il a appelés, il les a aussi just:ifiés; ceux qu'il a justifiés, il les a aussi glorifiés. » (Rm 8,29-30)
Avec amour, sainte Claire a poursuivi cette oeuvre toute sa vie. « Imiter les traces du Christ pauvre et humble... » (3L 4), a été la joie, l'espérance, l'amour, le désir extrême de son coeur, ce désir qui est «désir ardent du Pauvre crucifié... » (1L 13)
Cette oeuvre, elle sait qu'elle est difficile, contre notre penchant naturel marqué par les « défectuosités » quotidiennes (3L 4). « Les hommes nous dit-elle, sont très pauvres et indigents souffrant l'extrême indigence de nourriture céleste... » (1L 20). Cette indigence extrême de la nature humaine est encore aggravée par la présence nocive de l'ennemi trompeur et jaloux qui veut sans cesse nous empêcher de réaliser cette destinée de transfiguration, cette transformation à l'image du Fils qu'est notre vocation glorieuse. « Qui n'abhorerait nous dit-elle, les embûches de l'ennemi du genre humain qui par le faste de gloires momentanées et trompeuses s'efforce de réduire à rien ce qui est plus grand que le ciel? » (3L 20). Claire nous répond que Jésus seul peut nous sauver « lui qui pour nous tous supporta la passion de la croix nous arrachant au pouvoir du prince des ténèbres dans les liens duquel nous étions tenus liés à cause de la transgression de notre premier parent et nous réconciliant avec Dieu le père. » (1L 14). Cette «voie resserrée » et cette «porte étroite » de la pauvreté du Fils de Dieu qui «nous réconcilie avec son Père » , Claire nous entraîne à y pénétrer par l'oraison, la prière continuelle du «coeur pur» (RCl 10), la contemplation de ce Fils "Miroir du Père".
3. Le regard unique, attentif, posé sur Jésus, « Miroir sans tache » du Père.
À qui lui demanderait comment prier, comment contempler le Fils bien-aimé qui nous sauve, Claire répondrait encore: «Pose ton esprit sur le Miroir de l'étemité, pose ton âme dans la splendeur de la gloire, pose ton coeur sur le "miroir" (l'effigie) de la divine substance et transforme-toi tout entière par la contemplation dans l'image de sa divinité afin de ressentir toi aussi ce que ressentent les amis en goûtant la douceur cachée que Dieu lui-même a réservée dès le commencement à ceux qui l'aiment. » (3L 12-14) C'est le chemin de la transfiguration de l'être humain, devenant ainsi «participant de la nature divine » (2P 4), qui, par la contemplation, la prière du coeur pur sans distraction, pose sans cesse son regard intérieur sur le « Miroir de l'éternité » , la « Splendeur de la gloire » , « l'Image de Dieu » , sur le Fils bien-aimé.
Un regard unique, prolongé et continuel de toutes nos puissances intérieures, mémoire, coeur et esprit, sur le Fils, nous rend de plus en plus semblable à Lui, nous enseigne-t-elle. Et plus ce regard devient vie quotidienne, plus il réalise en l'âme, le coeur et l'esprit « les sentiments qui sont dans le Christ Jésus. » (Ph 2,4). La nature s'apprivoise peu à peu et entre en ce qui, d'abord, lui paraissait austère, difficile, quelquefois amer, et qui lui devient, dans la présence du Fils, douceur et paix. De sa dispersion naturelle, le regard intérieur devient de plus en plus un Nom inlassablement répété dans le coeur et sur les lèvres, ainsi que le rapporte le Procès de canonisation de sainte Claire, à plusieurs reprises: « ...elle parlait toujours de Dieu dont elle avait le Nom sans cesse sur les lèvres. » (Pr I,9) Et, à la fin de sa vie, en agonie: « ...elle repassait continuellement entre ses lèvres la Passion du Seigneur avec le Nom de Jésus. » (Pr X,10), ce qui était devenu une habitude pour elle, signe de ce regard continuel sur le Fils.
Ce regard sur le « Miroir » éternel de Dieu qu'est Jésus, Claire y revient souvent dans ses lettres. Les Clarisses de Nantes, dans ce travail remarquable de concordances qu'elles ont fait pour nous sur les écrits et la vie de sainte Claire, concluent en écrivant que le «symbole du miroir pourrait bien résumer toute sa spjritualité. »
En effet, le miroir est un des plus grands symboles humains. Nous pouvons le retrouver dans presque tous les écrits de Claire. Il pourrait se synthétiser ainsi: Le Père se reflète dans son Fils qui en est le Miroir parfait. François a reflété pour Claire ce Miroir parfait du Fils. Et Claire s'est vue en François et plus encore dans le Fils de Dieu. Elle entraîne ses soeurs à contempler ce Miroir parfait pour en être transformés et devenir à leur tour "miroir" les unes pour les autres, afin que les soeurs deviennent "miroir" pour ceux qui vivent dans le monde, (Test.). Mystère de transparence lumineuse où Dieu se manifeste au monde. Épiphanie constante qui se réalise dans la vocation de "soeur pauvre"! Dieu, à travers nous, manifeste ce qu'Il est "le Tout Pauvre", le Saint Pauvre de qui vient tout Bien, le Souverain Bien,(cf.Pater paraphrasé de saint François). À nous de nous laisser transformer en pure lumière de sa grâce.
Le regard contemplatif en laquelle nous convie Claire est irradié par la lumière de Jésus en sa divinité, ce qui lui enseigne ainsi le vrai visage de son humanité et de la nôtre: l'Évangile de Jésus, ses traces en ce monde, sa kénose, sa pauvreté, sont transfigurés par cette gloire du Fils bien-aimé. Ainsi dans sa première Lettre: « Regarde, considère, contemple, désirant imiter ton Époux, le plus beau des fils des hommes qui, pour ton salut, s'est fait le plus vil des hommes, méprisé, frappé et sur tout le corps flagellé de multiples façons, mourant dans les angoisses mêmes de la croix. » (v.20)
4. Être transformé dans la "charité ineffable" du Fils de Dieu.
Lorsque Claire nous convie, par le regard contemplatif, à nous «transformer tout entières dans l'image de la divinité » , où veut-elle nous entraîner? Le lieu où s'accomplit cette transformation nous le trouverons certainement dans ce qu'elle exprime d'elle-même en sa quatrième Lettre. Cette missive est brûlante. Claire s'y révèle transformée par Dieu, transfigurée par la grâce divine, participante de la « charité ineffable » du Fils de Dieu. Claire est vraiment ici, un « clair miroir offert au monde » (Bulle de canonisation).
Ainsi consumée par le feu du Potier divin, devenue semblable au Fils de Dieu, transfigurée en ce Regard, que nous dit-elle alors de l'oraison ? De fait, ce dernier écrit de la sainte nous pourrions le définir: une béatitude du regard contemplatif. Écoutons cette béatitude: «Heureuse, nous dit-elle , heureuse celle à qui il est donné de jouir de ce banquet sacré pour s'attacher de toutes les fibres de son coeur à Celui , dont toutes les bienheureuses armées des cieux admirent sans cesse la beauté, dont l'affection affecte, dont la contemplation refait, dont la bienveillance comble, dont la suavité remplit, dont la mémoire brille suavement. » (4L 9-11).
Comme elle le dit si justement: cette «contemplation nous refait » , elle nous refait à l'image du Fils de Dieu. Réalisation parfaite de notre vocation chrétienne. Ce sera là, nous dit-elle, en ce seul Regard qui aime, la joie éternelle qui nous est destinée, et notre délice, et notre gloire perpétuelle: « ...sa vision glorieuse rendra bienheureux tous les citoyens de la Jérusalem d'en-Haut, puisqu'il est la splendeur de la gloire éternelle, l'éclat de la lumière éternelle et le Miroir sans tache. » (4L 13-14).
Comme elle nous l'avait dit en sa troisième lettre, ce ciel, il est en nous déjà par la charité. Notre coeur s'agrandit aux dimensions de Celui qui l'habite. Car nous contenons vraiment « Celui que le ciel même ne peut contenir ». En effet, nous dit la sainte, «...il est clair que, par la grâce de Dieu, la plus digne des créatures l'âme de l'homme fidèle, est plus grande que le ciel, puisque les cieux, avec les autres créatures, ne peuvent contenir le Créateur, et seule l'âme fidèle est sa demeure et son siège, et cela seulement par la charité. » Et elle appuie sa foi profonde sur la promesse de Jésus lui-même à ses disciples: « La Vérité le dit: Celui qui m'aime, mon père l'aimera, et nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure. » .
Cette charité victorieuse, c'est le trésor de l'âme et du coeur, c'est elle qui retient Dieu en nous et nous transforme en sa Vie. La quatrième lettre présente un véritable enseignement sur l'oraison qui sonde, par le regard contemplatif du coeur le trésor de la « charité ineffable» du Fils de Dieu et se transforme par la grâce de cette contemplation. Après nous avoir dit, à la fin du verset 14, que Jésus est le « Miroir sans tache » . Claire nous invite à regarder ce Miroir chaque jour: «...ô reine, épouse de Jésus Christ, mire sans cesse en Lui ta face... » , pour être entièrement revêtue de Lui, intérieurement et extérieurement. C'est la gloire du Christ qui rejaillit sur l'épouse par la force des vertus de l'Époux. Et ces vertus qui doivent resplendir en nous et manifester notre transformation, sont sur ce Miroir: «Dans ce Miroir resplendit la bienheureuse pauvreté, la sainte humilité et l'ineffable charité comme, par la grâce de Dieu, tu pourras le contempler par tout le Miroir. » (v.18).
Le regard de Claire aperçoit souvent le Christ dans la gloire de son Ascension. Et en ce mystère, elle revoit les grands mystères de sa vie pauvre et humble tout transfigurés par la gloire que son Père lui a donnée, cette gloire qui a mis un sceau de victoire sur la charité du Fils de Dieu. Ainsi nos vies: plus elles entrent par l'oraison et l'union dans le mystère du Fils, plus nous participons à cette gloire, même si, ici- bas, elle n'est pas encore manifestée. Saint Paul nous l'affirme: « Du moment que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d'en-haut, là où se trouve le Christ assis à la droite de Dieu. Car vous êtes morts et votre vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu: quand le Christ sera manitesté, lui qui est votre vie, alors vous aussi vous serez manifestés avec lui pleins de gloire. » (Col 3,1-4). En cette quatrième lettre, Claire nous enseigne ce chemin de transformation intérieure qu'elle a vécu si profondément. Elle réalise ici ce que l'apôtre souhaitait: « Que le Christ habite en vos coeurs par la foi et que vous soyez enracinés, fondés dans l'amour. » (Ép 3,17) Suivons la trace de ce chemin à partir de ce verset 19 de la quatrième lettre et, ainsi attirées par l'ardeur de cette sainte mère, nous pourrons «comprendre avec tous les saints ce qu'est la Largeur, la Longueur, la Hauteur et la Profondeur, pour connaître l'amour du Christ qui surpasse toute connaissance et pour entrer par notre plénitude dans toute la Plénitude de Dieu. » (Ép 3,18-19).
Ici, Claire nous enseigne cette voie de l'amour avec audace et empressement. En nous parlant avec cette ardeur, elle reprend en ses propres expressions ou en celles du Cantique des Cantiques ce que Paul nous disait déjà: «Cherchez, à imiter comme des enfants bien-aimés, et suivez les voies de l'amour, à l'exemple du Christ qui vous a aimés et s'est livré pour vous, s'offrant a Dieu en sacrifice d'agréable odeur. » (Ép 5,1).
Claire nous invite d'abord à considérer sans cesse ce Miroir sans tache qu'est Jésus dans l'Évangile de sa vie: le début du Miroir, la kénose du Fils dans l'amour; le milieu, c'est tout l'évangile qui raconte «ses labeurs sans nombre et les peines qu'il supporta pour la rédemption de notre humanité » ; et la fin, c'est « l'ineffable charité » de Celui qui «ayant aimé les siens qui sont dans le monde, les aima jusqu'à l'extrême de l'amour » (Jn 13). «l'ineffable charité » est le seul mobile qui a dirigé la course du Fils de Dieu en ce monde.
Sainte Claire nous dit que ce Miroir de la charité divine est « posé sur la croix » et elle nous interpelle en nous avertissant que c'est là ce qu'il faut contempler pour devenir ce que nous sommes: «O vous tous qui passez par le chemin, considérez et voyez... » (vv. 24-25). Que répondrons-nous à cet appel de l'Amour ? Claire nous invite toutes à répondre «d'une seule voix» et d'un seul esprit à «Celui qui crie et se lamente» .C'est la voix "liturgique" de nos communautés qui, chaque jour, se souvient et revoit l'ardente charité du Fils bien-aimé: «Dans ma mémoire je me souviendrai et mon âme en moi se liquéfiera... » (v. 26), c'est-à-dire deviendra, de la dure pierre de mon coeur naturel, une « source qui jaillira en vie éternelle » (Jn 7,38), en vie d'éternelle charité. Claire le souhaite pour chacune de nous: «Puisses-tu, ô reine du Roi céleste, être sans cesse plus fortement embrasée de l'ardeur de cette charité. » (v.27)
5. Au coeur de la Divinité: la source de l'amour.
Mais la sainte Mère veut nous conduire plus loin encore. Elle veut nous mener au coeur même de la divinité de Jésus pour que notre ressemblance épouse entièrement ce qu'l1 est. Nous avons été créés à l'image de Dieu et sa Plénitude est notre devenir comme le dit toute l'Écriture. De plus, dit-elle, «contemplant ses indicibles délices, ses richesses et ses honneurs perpétuels, et en soupirant dans le désir et l'amour extrême de ton coeur, exclame-toi: entraîne-moi derrière toi, nous courrons vers l'odeur de tes parfums, Epoux celeste! » (vv. 28-30). Quelle prière est celle-ci: «Entraîne-moi...nous courrons vers toi, Époux céleste... » ! Entraîne-moi à ta charité, à l'extrême de ta charité, au bonheur de t'aimer... Les paroles du Cantique des cantique expriment, dans une transfiguration, l'ardeur brûlante qui consumait le coeur de Claire. Comme l'élan du coureur s'accentue à mesure qu'il approche du but, ainsi Claire dans sa « course » . Elle nous l'exprime justement dans la suite: «Je courrai, je ne défaillirai pas, jusqu'à ce que tu m'introduises dans le cellier à vin, jusqu'à ce que ta gauche soit sous ma tête, et que ta droite heureusement m'embrasse, que tu me baises du plus heureux baiser de ta bouche. » (vv. 31-32). Au Moyen-Âge, ce verset du Cantique des cantique, que Claire paraphrase, était compris comme l'expression de l'Amour trinitaire. Plusieurs Pères de l'Église voyaient ainsi les relations qui unissaient Dieu en lui-même: « Qu'il me baise (le Père) du baiser (l'Esprit Saint) de sa bouche!» ( le Fils) (Ct 1,1)
L'audace de Claire va jusqu'au coeur de l'Amour là où la charité prend sa source (le cellier à vin), la divine famille où François l'avait introduite avec ses soeurs: «... vous avez épousé l'Esprit Saint... » leur avait-il écrit, comparant ainsi leur vocation à celle de la Vierge Marie. Car, comme Marie et avec son aide, Claire nous enseigne que nous deviendrons comme elle ce que nous sommes en «aimant totalement Celui qui, pour ton amour, s'est donné tout entier. » (3L 15). Elle nous invite à cela lorsqu'elle nous exhorte: « Attache-toi à sa très douce Mère qui a enfanté un tel Fils que les cieux ne pouvaient contenir...» (3L 18). Le trésor de notre coeur humain est plus grand que nous. Il élargit l'espace de notre âme, il nous dilate aux dimensions de sa Charité. Nous pouvons expérimenter d'une certaine façon que l'obole de notre humble amour, si pauvre, si fragile, si "défectueux" qu'il puisse être, «achète » la Charité divine. Ainsi Claire le comprend: « ...le trésor incomparable...par lequel on achète Celui par qui tout a été fait de rien... » (3L). Le double mouvement de l'amour-charité s'accomplit en nous par ce regard qui prie et contemple: « ...pose ton esprit sur le Miroir..., pose ton âme..., pose ton coeur..., et transforme-toi tout entière par la contemplation dans l'image de sa Divinité. » (3L 12-13)
6. Être « coopératrice de Dieu même, soutien des membres défaillants de son Corps ineffable » .
La transfiguration de notre être dans la pure lumière de Dieu, c'est la transformation à l'image de ce qu'Il est. Et «Dieu est Amour», nous dit saint Jean. Le Père est «miséricordieux » , nous dit saint Luc. C'est donc dans la Compassion du Père des miséricordes que nous portons le prochain lorsque notre être s'est dilaté à la dimension de son Amour. Cette quatrième lettre si brûlante de charité est le témoin palpable de cette transformation intérieure qu'a opérée chez Claire la prière et la contemplation du « Miroir de l'éternité » qu'est le Fils de Dieu. C'est ce qu'elle exprime, immédiatement après avoir amené sa corespondante à prier pour obtenir la plénitude de l'amour divin. «Placée (posée) en cette contemplation» (v. 33) «embrasée sans cesse de l'ardeur de cette charité » (v. 27) «aie mémoire de ta mère, petite pauvre... » (v. 33), ajoute-t-elle aussitôt.
Et plus loin, montrant à sa soeur spirituelle à quel point l'ardeur de cette charité la brûle, elle lui dit: « ...considère mon affection maternelle par laquelle tous les jours je suis affectée de l'ardeur de la charité envers toi et tes filles; recommande-leur beaucoup moi-même et mes filles dans le Christ... Mes filles elles-mêmes...se recommandent dans le Seigneur autant qu'elles le peuvent à toi et à tes filles. » (vv. 37-38) Elle l'avait exprimé de même au début de sa lettre: « ...l'incendie de la charité brûle suavement dans les entrailles de ta mère. » Cet aveu manifeste bien tout le travail de la grâce qui a transformé le coeur profond de Claire « par la contemplation dans l'Image de la Divinité » qu'est la Face de Jésus.
Par cette charité puisée au coeur de Dieu, nous devenons «une auxiliaire de Dieu une nouvelle Ève, celle qui aide et soutient les membres défaillants de son Corps ineffable». Notre prière dilatée devient ce «gémissement ineffable» de l'Esprit Saint qui hâte la délivrance et le relèvement de l'humanité créée à l'image de Dieu.(Rm 8,26)
7. Le mystère de la TRANSFIGURATION
«Comme [Jésus] priait (Lc 9,29) il fut transfiguré devant eux.. (Mc 9,2) Et une voix. partit de la nuée qui disait: Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écouttez-le. » (Lc 9,35; Mc 9, 7) Le pur miroir de la vie de Jésus s'est aussi manifesté dans la vie de Claire.
Le Procès de canonisation rapporte plusieurs faits où Claire, dans l'humble labeur de son oraison contemplative, a été transfigurée aux yeux attentifs de ses soeurs et compagnes. Ces faits peu nombreux, racontés sobrement par les compagnes de Claire qui n'osaient pas en parler entre elles, témoignent pourtant que Dieu voulait, par eux, éclairer leur route vers Lui. Claire apparaît alors comme transfigurée, surtout aux moments de ses oraisons, une fois durant la liturgie de la communion, et aussi une autre fois durant la prédication de la Parole.
Ainsi soeur Aimée nous dit: «...lorsqu'elle revenait de l'oraison, son visage paraissait plus clair et plus beau que le soleil... » (Pr IV ,4) Et soeur Cécile: «...au retour de la prière, son visage paraissait plus lumineux que de coutume... » (Pr VI,3)
Soeur Françoise raconte comment elle vit la sainte, au début du mois de mai, sans préciser en quelle occasion: « Elle aperçut, sur les genoux de madame Claire, devant sa poitrine, un très bel enfant dont la beauté ne pourrait se décrire; à sa seule vue le témoin (soeur Françoise) ressentait une inexprimable douceur et suavité. Et elle est convaincue que cet enfant ne pouvait être que le Fils de Dieu. Et elle dit aussi qu'elle vit alors au-dessus de la tête de madame Claire deux ailes resplendissantes comme le soleil lesquelles tantôt se levaient, tantôt recouvraient sa tête. » (Pr IX,4)
Ce fait est très significatif pour nous: Claire, en son oraison, manifeste vraiment, ici, qu'elle est "mère" du Seigneur Jésus, comme le Seigneur lui-même le dit d'ailleurs de ceux qui l'écoutent (Lc 8,21), et comme François aussi l'affirme en ses écrits (Lettre aux Fidèles). Claire aussi donnait volontiers ce titre à ses soeurs pauvres... Le disciple de Jésus participe à la maternité spirituelle de Marie par son écoute de la Parole, et par sa fidélité à accomplir la volonté du Père des cieux. De plus, Claire semble être illuminée, ici, par «l'ombre de l'Esprit Saint»: les deux ailes resplendissantes, toujours en mouvement, qui la recouvrent ou remontent vers Dieu... Allusion, sans doute, au mystère de l'Annonciation où l'Esprit prend la Vierge sous son ombre pour qu'elle enfante le Fils béni. Claire participe ici, au mystère de la Vierge Marie qui est « épousée par l'Esprit » .
Le même témoin, soeur Françoise, rapporte encore une semblable transfiguration de Claire au moment de la liturgie de la communion eucharistique. Soeur Françoise précise mieux la date: le 11 novembre, à la saint Martin, le matin après la messe, aux jours où la sainte mère fut très près de mourir. « Alors le témoin vit au-dessus de la tête de la mère sainte Claire une splendide lumière et il lui sembla que le Corps du Seigneur était un très beau petit enfant. La mère le reçut avec beaucoup de dévotion et en pleurant, comme elle le faisait habituellement, puis elle dit: Dieu m'a accordé aujourd'hui un si grand bienfait, que le ciel et la terre ne sont rien en comparaison. » (Pr IX,10) Ces dernières paroles de la sainte confirment sa foi, telle qu'elle l'avait exprimée dans ses lettres à Agnès, sur cette inhabitation de Dieu en nous: « Par la grâce de Dieu, il est clair que l'âme de l'homme fidèle est plus grande que le ciel, puisque les cieux, avec les autres créatures, ne peuvent «contenir le Créateur, et seule l'âme fidèle est sa demeure et son siège et cela seulement par la charité. » (3L 21)
Une autre fois, soeur Agnès rapporte que, pendant la prédication de la Parole de Dieu, «durant la semaine qui suit Pâques, elle vit aux côtés de madame Claire un très bel enfant qui lui paraissait avoir dans les trois ans. Et comme le témoin priait Dieu en son coeur que ce ne fût pas là un piège, il lui fut répondu en son coeur par ces paroles: Je suis au milieu d'eux! » Soeur Agnès précise que ce « bel Enfant » demeura là « près de Claire, pendant une grande partie de la prédication. Et elle ajouta qu'il lui semblait voir alors autour de la mère sainte Claire une admirable splendeur qui ne paraissait nullement de nature matérielle mais plus comme un rayonnement lumineux d'étoiles. Après cela, elle vit une autre lumière toute rouge et qui semblait jeter des étincelles de feu; cette lumière enveloppait toute la sainte et couvrait toute sa tête. » Soeur Agnès entendit alors en elle-même l'explication de cette "transfiguration": « Spiritus sanctus superveniat in te. » Ici nous avons en ce fait une véritable confirmation de la destinée spirituelle de Claire. L'Esprit saint la « couvre de son ombre » lumineuse tout comme il l'a fait pour la Vierge Marie « Vous avez épousé l'Esprit Saint» , avait dit François aux premières soeurs pauvres, exprimant ainsi toute la grandeur de notre vocation évangélique.
Ces phénomènes mystiques furent peu nombreux dans la vie de notre sainte fondatrice. L'Esprit Saint a sans doute voulu ainsi confirmer par eux l'enseignement de la sainte et son charisme personnel comme "mère de tout l'Ordre" (Pr IV ,18). Cependant nous pouvons dire que le témoignage de sa joie continuelle et de sa charité au milieu de ses soeurs, ainsi que le constant caractère nuptial de sa pauvreté, comme le rapportent de nombreuses compagnes, ces seuls faits confirment davantage comment sainte Claire a vécu ce profond mystère de "transformation" chrétienne « dans l'image de la divinité » .
Ainsi, pour nous comme pour elle, ce mystère de transfiguration chrétienne s'accomplit surtout d'une façon cachée, souvent imperceptible à nos yeux, mais certaine selon « la force de notre foi » (3L), dans le quotidien de nos jours. Pour elle comme pour nous, l'épiphanie de nos Liturgies quotidiennes manifeste cette Oeuvre, là où avec le Christ et en Lui, nous revivons "aujourd'hui" ses grands actes sauveurs, là où Il nous entraîne et nous transforme dans le mystère de sa Charité divine.
Bien sûr, en ces moments liturgiques, nous réagissons souvent comme Jacob endormi sur sa route qui, tout à coup, est saisi par l'illumination divine et s'écrie: «En vérité, le Seigneur est en ce lieu, et je ne le savais pas!.» (Gn 28,16). Ou encore, peut-être, comme ce pauvre psalmiste qui a prié le psaume 72 dans la peine et la lourdeur de son coeur devant Dieu: «Moi, stupide, comme une bête, je ne savais pas mais j'étais avec toi. Moi je suis toujours avec toi qui as saisi ma main droite. Tu me conduis selon tes desseins; puis tu me prendras dans ta gloire. »
La réalité des Promesses de Jésus s'accomplissant dans la vie de sainte Claire et dans nos vies.
Cette transformation est la conséquence de la promesse formelle de Jésus lors de la dernière grande prière qu'il adressait à son Père à la veille de sa Passion, prière qui est proclamée par l'Église dans les évangiles lues durant les jours qui suivent l'Ascension, prière qui est la profonde manifestation de l'intercession continuelle du Fils, pour nous, devant le Père. En cette prière "sacerdotale", Jésus affirme que du seul fait que ses disciples ont cru en Lui, il est Lui-même glorifié en eux: « père saint..., ceux que tu m'as donnés..., je suis glorifié en eux.(Jn 17,10) Je leur ai donné la gloire que tu m'as donnée, pour qu'ils soient un comme nous sommes un, moi en eux et toi en moi, afin qu'ils soient parfaits dans l'unité et que le monde reconnaisse que tu m'as envoyé et que tu les as aimes comme tu m'as aimé, (vv. 22- 23) pour que l'amour dont tu m'as aimé soit en eux et moi en eux. » (v. 26)
Cette prière ultime de Jésus a trouvé son merveilleux accomplissement dans la vie de sainte Claire. Nous pouvons être fières et heureuses d'avoir une telle maîtresse de vie spirituelle et d'oraison qui, en quelques phrases chargées d'intense expérience spirituelle, nous conduit directement au mystère transformant de l'Évangile, dans cette Pâque du Fils bien-aimé où notre vocation s'accomplit tous les jours un peu plus.
Vraiment, nous pouvons croire que l'Esprit saint « opère » en nous ce mystère de la charité qui transforme notre vie, à la suite de la Vierge Marie et de sainte Claire. Si nous persévérons et nous nous encourageons mutuellement à nous appuyer sur les promesses de Jésus, il nous sera donné nous aussi d'entendre et de comprendre cette parole de béatitude dès cette vie et dès maintenant: «Bienheureuse toi qui as cru, car il y aura accomplissement de ce qui t'a été promis de la part du Seigneur. » (Lc 1,45)
Le Christ est au milieu de vous, Lui, l'espérance de la gloire. (Co1 1,.27)
Que le Seigneur soit toujours avec vous, et puissiez-vous être toujours et partout avec Lui. (Bén. 16)